Hommage à la mémoire de Hadj Mohamed Khanfar et cheikh Bakar Hadj Aïssa

Publié le par LAGHOUATI

Hommage à la mémoire de Hadj Mohamed Khanfar et cheikh Bakar Hadj Aïssa

Ces figures emblématiques qui guident nos pas

(Publié le 28 octobre 2014 dans le blog de l’histoire et de la culture de Laghouat)

Par Mohamed-Seddik LAMARA

Charmant, pieu et philanthropique, parfois à l’excès, le jeune Mohamed Jamel Khanfar, secrétaire général de la wilaya de Boumerdès, a constitué pour moi un don du ciel m’ayant grandement aidé à clarifier mes réminiscences sur sa ville natale et celle de mes enfants et surtout, à remonter au souvenir de familles nobles et si hospitalières comme la sienne. J’ai le sentiment, et je le souhaite, ici aussi - comme bon nombre d’humbles boumerdessi ayant eu l’occasion de l’apprécier – que sa carrière aboutira à une grande et méritoire promotion. A l’occasion de ma toute récente visite à son bureau en ce mois finissant d’octobre, il m’exhiba une vieille photo prise en 1956 à Laghouat, à l’occasion du mariage de son père le regretté Hadj Mohamed Khanfar. Relique en noir et blanc montrant ce dernier dans une posture si pudique en compagnie du Allama Cheikh Boubakar Hadj Aïssa, du Professeur Souidi Mohamed (qu’ils soient tous les deux agrées par la miséricorde divine), de Youssefi Hadj Mohamed (avocat) et de Belhadj Mohamed.
Fichtre ! Ne voila-t-il pas meilleure occasion de parler de son père avec lequel je m’étais rapidement familiarisé, à la faveur de la première réparation d’une roue de la surréaliste R4 de service avec laquelle j’ai sillonné de long en large la vaste wilaya de Laghouat, Cette, évocation, par un pur hasard, coïncide (un signe divin !) avec la commémoration du 20 ème anniversaire de la disparition de Hadj Mohamed Khanfar (décédé le 29/10/1994).

Khanfar Mohamed le père, puisque c’est de lui qu’il s’agit, constamment engoncé dans une salopette bleue, curieusement maintenue dans un état de perpétuelle propreté, était le vulcanisateur le plus apprécié à Laghouat. Son atelier donnait sur le boulevard de l’indépendance où sa famille y demeura suite à l’explosion d’el gharbia en 1948. Avec une rare dextérité, il parvenait, en un tour de main, à déjanter les pneus les plus coriaces. Cette qualité lui a permis de magnétiser une grande partie de la clientèle et plus encore, la fidélité des institutions locales.

Artisan amène et jovial, il n’a point été effleuré par la suffisance dont se parent certains prestataires de services dès lors que leur tiroir-caisse venait à déborder. Khanfar Mohamed, le vulcanisateur et poète à ses heures perdues, n’était pas ce quelconque, lourdaud et rébarbatif vendeur d’air, mais un repère vivant et vivifiant maitrisant, avec un rare bonheur l’art de communiquer dans le langage captivant des anciens. Personnellement, il m’accueillait toujours avec un sourire frais et épanoui, appuyé par l’expression de son nez rond et rougeaud surmonté d’une paire de lunettes en écailles intermittemment repoussée de l’index sur son front dégoulinant de sueur.

Ce trait de son visage couperosé m’a donné une fois le prétexte – j’ai regretté par la suite d’y avoir recouru en égard à sa religiosité sans fard – de le taquiner sur un mythique penchant « bachusien ». Pourtant, il en avait, volontiers, ri, preuve que ma boutade ne l’avait point écorché. Il m’arrivait de demeurer dans son atelier un long moment après la réparation d’un pneumatique. Surtout quand il hèle de l’étroite porte donnant sur son jardin, un de ses enfants pour apporter un fumant thé accompagné, quand l’occasion se présente, d’un délicieux m’semen. Et d’évoquer, après avoir passé le relais à son apprenti, de saisissants pans de l’histoire glorieuse de Laghouat dans sa farouche résistance au déferlement, en 1852, des troupes coloniales conduites par le tristement célèbre général Pélissier.Les khanfar, m’avait-il appris, se sont, dès le débarquement en 1830 des forces coloniales à l’ouest d’Alger, payé le tribut de la résistance à celles-ci. Un tel sacrifice a été confirmé à travers le martyrologe inséré dans l’intéressant ouvrage de Kazi hadj Mahmoud « Laghouat, dignité et fierté pour l’éternité », où il est fait mention des dix sept combattants laghouatis tombés au champ d’honneur, aux environs de Sidi Fredj, parmi eux, Khanfar Mohamed, l’aïeul de Djamel.

La mutation de Mohamed Djamel khanfar à la wilaya de Boumerdès - où je me suis installé, dans l’urgence en 1989, pourchassé que je j’étais alors, avec ma famille, par le foyer naissant du terrorisme animé par Atalah Sayah – m’a fourni un véritable bol d’air et un inespéré pôle de « connexion » avec le passé de Laghouat et avec le mien propre dans cette ville où nous avions envisagé de nous installer définitivement. Les laghouatis nous avaient, d’emblée, adoptés comme les leurs. Dans les occasions heureuses – mariages, circoncisions et autres ouaada – nous étions souvent placés au premier rang des convives. Pareille considération n’était pas accordée au premier venu. Car très jaloux de leurs traditions, avec un inaliénable sens de l’honneur, ces gens n’acceptaient pas de s’acoquiner avec les visiteurs aux mœurs dissolues. Constance ayant, injustement, fait naître à leur endroit, par ces derniers, l’abominable préjugé de « xénophobie ».

En me faisant ainsi adopter, j’ai eu l’insigne honneur d’être associé à de délicieux conclaves culturels et mystiques. Celui organisé, au début des années quatre vingt, par Hadj Amor Lamri (ALLAH yarhmou), restera à jamais gravé dans ma mémoire. Dans sa modeste et antique demeure, au dessus du mythique moulin à café sous les arcades de l’ex rue Marguerite, au croisement de rahbat ezzitoun et masjid el attiq, Hadj Amor m’accueillit en compagnie de Hadj Mohamed Naijat, alors président de l’APW de Laghouat (on m’a appris que celui-ci est très malade ; je prie le Seigneur de lui apporter la guérison) avec des égards sincères et chauds comme, seules les personnes élevées dans la simplicité et l’humilité, savent, sincèrement donner.

Le prétexte de cette rencontre ? « Hadj Amor est tombé, me susurra à l’oreille, Hadj Mohamed Naijat, sur un « dérouiche » dont l’âge dépasserait un siècle et demi, alors qu’il paraissait avoir à peine la quarantaine. » Les convives composés de vénérables notables de la ville, tous de blanc vêtus, étaient subjugués par cette extraordinaire « trouvaille » à laquelle leur hôte prêtait le don de remonter le temps et de faire de renversantes prédictions. Le diner, un ragoutant couscous enduit d’un exquis smen de brebis (lazrag) accompagné d’une alléchante sauce aux truffes (c’était le printemps, saison durant laquelle la steppe environnante exhume, quand les conditions son réunies, des monceaux de « terfas »), ne fut servi qu’à l’arrivée de cheikh Boubaker Hadj Aïssa (ALLAH yarmou), figure emblématique du mouvement des oulémas algériens. Sa présence suscitât, aussitôt, une atmosphère de gravité et de sérénité.

Comme par enchantement, les « divagations » du plus que centenaire derouiche, s’estompèrent. Par son aura, son tact, sa gentillesse, son art consommé de la persuasion et sans froisser son hôte, Hadj Amor Larbi, ni rabrouer « l’illuminé » venu du lointain Adrar (on offrit à ce dernier, un cachet de calcibronat dans un verre qu’il colla à son oreille pour écouter, tel un enfant ébahi, la remontée des bulles effervescentes), cheikh Boubaker ramena tout le monde sur terre. Il donna au cours de cette soirée bénie, sans ne nullement recourir aux artifices scientistes, paternalistes et péremptoires, une grande leçon de tolérance et de maîtrise de la chose spirituelle.

Pour conclure, je formule cette prière : par nos influences, qu’il faut souhaiter, par la grâce de DIEU, réciproquement bénéfiques, perpétuons cette osmose sereine, par laquelle nos ancêtres ont réussi à surmonter les plus terribles adversités. Et, qu’à leur tour, nos enfants en fassent de même ; un précieux legs pour affronter les inimitiés d’où qu’elles viennent. Surtout, celles qui émergent de notre propre être.

M.S.L

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Publié dans Med Seddik LAMARA

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