Les "journous" de Lazhari Labter
Les journous
”Je me souviens du premier illustré que je lus ou plutôt que j’étais arrivé à déchiffrer péniblement car je venais à peine, à l’école française où mon père m’inscrivit avec deux années de retard sur l’age de scolarisation légal, d’apprendre les rudiments de l’alphabet. C’était un illustré en noir et blanc de petit format sans couverture et sans premières pages. Un Zembla, ma fascination grandissait à fur et à mesure que je feuilletais les pages, en déchiffrais les phrases emprisonnées dans les bulles et que le récit prenait du sens. Ce fut le coup de foudre pour les illustrés. Sans m’en douter, tout comme Astérix, qui était tombé tout jeune dans un chaudron de potion magique, je venais de plonger dans le monde merveilleux de la bande dessinée, élevée au rang de 9ème art. Cette passion continue de me coller à la peau jusqu’à ce jour. A cette différence près qu’aujourd’hui, je ne me cache plus pour lire des bandes dessinées. Ces illustrés italiens d’origine pour la plupart, portaient des noms magiques qui sont restés gravés dans ma mémoire : Blek le Roc, Zembla, Akim, Miki le Ranger, X 13, Météor, Tartine, les pieds Nickelés, Swing, le Phantome,Mandrake le Magicien etc.…
Ces bandes dessinées, de mauvaise qualité le plus souvent, faisaient fureur parmi les jeunes (et les moins jeunes) dans les rangs de ceux qui savaient lire mais aussi chez les analphabètes, les plus nombreux. Tout comme les Westerns Américains ou les péplums italiens. On en trouvait non seulement dans les grandes villes mais aussi dans les villages et même dans les coins les plus reculés de pays. Partout où des librairies, voire de simples kiosques à journaux existaient, partout où l’avion , le train, l’autobus ou l’automobile arrivaient, il était possible d’avoir, pour des sommes modiques, des dizaines d’illustrés de toute origine que la France déversait sur le marché Algérien en grandes quantités. Le meilleur y côtoyait le pire.
Les « Journous », comme on disait dans le Sud ou les »Mikyettes » comme on les appelait dans le Nord, étaient un véritable phénomène de société. Des collections, des circuits d’échanges et même des »bourses » informelles de valeurs de ces illustrés existaient un peu partout. Les héros de papier exerçaient une grande fascination sur des centaines de milliers de « fans » qui, dans leur grande majorité, n’avaient rien d’autre pour étancher leur soif de lecture et de découverte. Leurs aventures palpitantes aux péripéties interminables étaient, épisode après épisode, suivies et commentées. Elles les tenaient en haleine. Ils vivaient pratiquement à leur rythme.
J’en avalais des quantités considérables. A peine la dernière page de l’un fermée que je passais au suivant. Ces lectures étaient mal vus et je reçus nombre de tannées quand mon grand frère arrivait à me débusquer dans la cachette au fond du jardin ou sur la terrasse, plongé dans un univers fascinant pour moi mais qui lui était totalement étranger.
C’est dans ces illustrés que j’appris à lire et à aimer les dessins. Aujourd’hui encore, quand j’ouvre un album de bandes dessinées surgit intact mon « vert paradis des amours enfantines » ”
Par Lazhari Labter in « Retour à Laghouat mille ans après Beni-Hilel »
Commentaire
Les « journous », on les achetait du « musée oriental » de chez Hadj Attalah Bouameur qui vendait toutes sortes de souvenirs et autres antiquités de la ville à coté des journaux, magazines, cartes postales.
Leur lecture nous était interdite par nos parents et nos enseignants n’hésitaient pas à nous les confisquer avec souvent des sanctions. Pour éviter que pareille mésaventure nous arrive, nous les cachions à la vigilance des adultes et nous prenions toutes les précautions pour ne pas se laisser surprendre. Nous en constituions des collections qui se comptent par dizaines de numéros voire des centaines pour les plus férus d’entre nous. Il y en avait particulièrement deux : Benkorchi et Belkacem El-Hachaichi qui s’est spécialisé dans la collection de Miki le Ranger et a pu en constituer une quantité considérable. A l’indépendance, l’importation des illustrés fut interrompue mais notre ami Belkacem continuait à recevoir Miki le ranger parce qu’il s’y est abonné. A son décès, ses proches ont retrouvé sa collection intacte, la collection qu’il a mis tant d’énergie et tant d’argent à constituer. Il en était très fier et nous le courtisions pour avoir droit d’emprunter quelques numéros de notre héros favori »Miki » (un jeune capitaine des Rangers auquel nous nous identifions)
Le reproche que nos enseignants faisaient aux illustrés c’est qu’ils nous apprennent un mauvais français truffé de mots familiers et parfois vulgaires. Ils retrouvent fréquemment dans nos copies des mots empruntés aux illustrés, ce qui les met en colère. Je me rappelle quelques locutions de ces illustrés telles que : sapristi,par mille putois puants,par mille bâbords,sus à l’ennemi,galoper à brides abattues,
En plus des titres cités par notre ami Lazhari, je peux citer encore d’autres titres : Cassidy, Buck John, Pim- Pam- Poum, Bibi-Fricotin et bien d’autres titres que nous achetions tous sans en laisser un seul.
Devenus plus âgés, nous avons dù changer de lecture : nous nous sommes orientés vers les romans-feuilletons tels que Nous deux, confidences. Ce genre de lecture nous était plus interdit que les illustrés et nos parents étaient plus sévères encore et plus regardants. Ce qui ne nous empêcha pas de les lire, toujours en cachette.
Nos camarades, qui n’ont pas connu l’école française mais suivaient à plein temps les cours de la Medersa, lisaient eux une littérature plus saine de la bibliothèque ou encore l’histoire illustrée de Sindbad Al-Bahri