Souvenirs de Laghouat- Partie 2-Extraits des « Années Rouges » de Leila Aslaoui

Publié le par Laghouati

 

 

 

« Nous sommes en 1955 ,Zehira et moi avions dix ans . Nous sommes deux élèves du cours moyen 1ère année. Dans cette classe, il y avait peu  »d’arabes » -c’est notre nom et notre statut. Les « grandes » d’abord, comme les appelle notre instutitrice ou « les dernières en tout », ce sont  Anissa et Hassina , les sœurs jumelles , la belle Rabéa , rêveuse et courtisée par les jeunes gens de Laghouat et ceux de Djelfa ,Doudja , Fatiha . Elles ne sont pas hermétiques au savoir comme le prétendent nos pédagogues. Elles sont résignées parce qu’elles savent que leur destin leur échappe .Elles ont quatorze ans. A la fin de l’année, elles seront orientées vers « la formation  ménagère » , dernière étape et suprême privilège avant que ce brin de liberté ne leur soit confisqué par le  mari choisi par le père , l’oncle , le grand-père ou le fils aîné.

 

« Qu’importe les études ! Réussir votre mission d’épouse et de mère est plus important « leur répète « charitablement » la mère supérieure.

 

Doudja, rieuse, turbulente, a opté pour les farces puisqu’elle en a encore le temps. »Il faut qu’elles (les religieuses) se souviennent de moi » .Doudja lutte comme elle peut contre l’exclusion. Souvent en cour de récréation, Anissa pleure. Elle verse de vraies larmes. Zehira et moi n’avons pas le droit de poser des questions. Un jour elle nous parle. Quarante trois après, je me souviens de chaque mot, de chaque phrase.

« Lorsque tu es une fille, on te surnomme « la bombe », « la honte ». Pour nous les grandes, c’est fini. On nous mariera bientôt. Mais vous deux, vous avez de la chance d’avoir des parents qui veulent que vous poursuiviez vos études Alors travaillez, travaillez dur, battez les « françaises »

 

Elle répète sur un ton rageur : « Battez les françaises, pour nous c’est fini. C’est bien fini  » . Anissa pleure. Zehira et moi l’écoutons. Je veux l’embrasser mais je n’ose pas lui dire que je comprends ce qu’elle me dit. Elle est la « grande ». Je ne suis qu’une gamine. La plus sage est Rabéa , la belle Rabéa Elle trie son courrier du cœur. A qui répondra t-elle ? Lorsqu’elle aura opté pour pour l’élu du moment, Zehira et moi serons chargées de poster sa lettre , puisque nous avons le droit de nous promener au centre-ville , espace réservé exclusivement aux hommes.

Les « Grandes » empruntent les ruelles étroites en baissant la tête et en serrant sur elles leur voile épais couleur bleu nuit. Un seul œil leur sert de guide, le reste du visage est bien dissimulé.

Les autres, toutes les autres, ce sont les Françaises, Noëlle Stern, Marie-Louise Lambert, Marie-Claude Paillard, Annie Bessis, Chantal Pagès, Guillaumette Gaillard, Annie Tubiana, Sylvie Rousseau.

Elles sont nombreuses. Elles ont leurs jeux, leurs amitiés, leur langage, leurs préoccupations. Nous nous parlons mais elles nous côtoient sans nous voir.

 

Publié dans HISTOIRE

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L
bonsoir hadj ,je viens de lire avec émotion ces souvenirs de Laghouat ,je souhaite de tout coeur à ton blog un grand et beau succès .amitiés .lo
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<br /> Merci, lo pour ton mot gentil. J'espère que je serai à la hauteur de vos attentes.je compte sur vous pour vos articles et vos commentaires ainsi que vos conseils .Mille fois merci et bon soir<br /> <br /> <br />