ZAATCHA : UN PETIT ECHANTILLON DE LA MISSION CIVILISATRICE DE LA FRANCE EN ALGERIE RACONTÉ PAR DES FRANCAIS

Publié le par LAGHOUATI

ZAATCHA :

UN PETIT ECHANTILLON

DE LA MISSION CIVILISATRICE

DE LA FRANCE EN ALGERIE

RACONTÉ PAR DES FRANCAIS

« Il faudrait des temps moins troubles que les nôtres, pour espérer de faire écouter avec l'intérêt digne d'un pareil sujet, le récit de la lutte héroïque qui, après avoir duré 51 jours, se termina par une des catastrophes les plus terribles dont l'Afrique ait été le théâtre depuis la conquête de nos armes […]

 

En 1843, nos colonnes avaient franchi la région appelée dans le langage poétique des Arabes : la porte du désert (Bab el Sahara),

et après avoir aperçu les vastes solitudes, sur la nudité desquelles tranchent à l'horizon quelques montagnes rougeâtres torréfiées par les feux du soleil,

elles étaient venues arborer le drapeau de la France sur les murs de Biskara […] plus tard, M. le chef de bataillon de Saint-Germain fut appelé au commandement du cercle dont cette place est le chef-lieu[…]

Au printemps de 1849, il fit un voyage à Constantine, et en son absence le commandement passa aux mains de M. Lagrenée, capitaine du génie, ayant sous ses ordres M. Dubosquet, lieutenant d'infanterie, chargé des affaires arabes.

                                                 Ce fut alors que Bou-Zian, ancien cheik d'Abd-el-Kader, se mit à exploiter le mécontentement que l'impôt sur les palmiers avait fait naître, à exciter le fanatisme religieux des tribus et à leur prêcher la guerre sainte […]

M. Séroka, sous-lieutenant au 2e régiment de la légion étrangère, attaché aux affaires arabes, se trouvait en tournée avec El Arbi, renégat piémontais qui, établi depuis longtemps dans le pays, y exerçait une certaine influence, et était entièrement dévoué à notre cause.

M. Séroka, escorté de quelques spahis, se dirigeait vers Zaatcha qu'il voulait visiter, pour juger par lui-même de l'état des esprits et des choses, lorsqu'on le fit prévenir que Bou-Zian ne se présenterait pas à lui avec le cheik de l'oasis, son ami intime, quoiqu'il eût l'habitude d'accompagner toujours ce dernier en de semblables circonstances […]

En arrivant à Zaatcha, on rencontra Bou-Zian sur une petite place. "Prépares-toi à me suivre, lui dit M. Séroka, le commandant de Biskara veut t'entretenir et il faut que je te conduise vers lui."

Et sur un signe de l'officier, deux spahis de l'escorte mettant pied à terre, s'emparèrent de Bou-Zian et voulurent le placer sur un mulet.

Bou-Zian, se voyant le plus faible en ce moment, feignit, avec l'astuce propre aux hommes de son pays, d'obéir sans résistance; mais, en même temps, il cassa comme par mégarde le fil de son chapelet, dont les grains s'éparpillèrent sur le sol.

Il demanda la permission de les ramasser et se baissa pour les prendre, joignant ainsi l'action à la prière de l'accomplir. On le laissa faire.

Pendant cette occupation il lança des regards significatifs à des Arabes qui passaient d'aventure, et qui le comprenant, allèrent fermer la porte par laquelle M. Séroka et son escorte étaient entrés, puis coururent aux armes.

L'officier et les spahis n'eurent, pour échapper au massacre dont ils étaient menacés, que le temps tout juste d'opérer précipitamment leur retraite, d'ouvrir la porte, et de gagner la plaine de toute la vitesse des jambes de cerfs de leurs coursiers arabes.

Instruit de ces faits, le colonel Carbuccia, du 2e régiment de la légion étrangère, voulut en tirer vengeance; mais malgré la vigueur de son attaque, un échec sanglant lui révéla l'impossibilité d'enlever Zaatcha avec les faibles ressources dont il pouvait disposer.

Bientôt l'insurrection des Ziban se propagea comme un incendie que rien n'arrête. Les tribus de l'Auress se soulevèrent, et placèrent à la tête de leurs cavaliers un marabout renommé, Si Abd el-Affid, qui vint audacieusement s'établir et planter son drapeau en signe de défi, sur le versant des montagnes arides situées à une faible distance de Biskara […]

le 17 septembre 1849, le commandant de Saint-Germain marcha contre lui avec la garnison de Biskara, et fut tué par une balle reçue au milieu du front, en chargeant vaillamment à la tête de la cavalerie […]

Au moment où avait lieu cette affaire, le général Herbillon, commandant de la province de Constantine, réunissait les éléments d'une expédition considérable, à la tête de laquelle il se proposait de marcher en personne, pour comprimer et éteindre dans Zaatcha le foyer d'insurrection qui menaçait d'envahir toute la province […]

Pendant que s'opérait la réunion des troupes qui devaient marcher sur Zaatcha, Bou-Zian appelant à lui tous les mécontents et tous les croyants fidèles, concentrait dans cette oasis ses moyens de résistance.

L'oasis de Zaatcha avait parmi les Arabes une sorte de réputation d'inviolabilité qui leur inspirait toute confiance.

Ses guerriers avaient repoussé plusieurs fois les attaques des beys de Constantine, et Abd-el-kader lui-même, marchant à la tête de ses réguliers, n'avait pu s'en rendre maître par la force des armes […]

Cependant le fanatisme des nombreux défenseurs de Zaatcha, décidés tous à vaincre ou à mourir, n'était pas le seul obstacle à surmonter.

Nos soldats habitués à combattre les Arabes sur les montagnes ou dans la plaine, devaient aller les chercher et les atteindre, cette fois, au milieu d'un labyrinthe inextricable…

Au milieu des sables brûlants et arides, surgit, comme par un effet miraculeux, une haute forêt de palmiers. Au-dessous des palmiers croissent des figuiers, des grenadiers et quantité d'autres arbres à fruit, au pied desquels s'entrelacent des plantes rampantes qui, mêlées à des palmiers nains, recouvrent le sol entier d'une épaisse couche de végétation au milieu de laquelle on ne peut se frayer un passage.

Des sources abondantes entretiennent de nombreux canaux d'irrigation. Enfin, au centre de cette forêt du désert qui occupe une étendue de plusieurs lieues carrées, est bâti Zaatcha, dont les maisons impénétrables et les jardins aux murs crénelés, présentent comme autant de petites citadelles dont il faut faire le siège séparément, en s'exposant de tous côtés aux feux croisés et meurtriers d'un ennemi invisible.

Mais avant de pouvoir engager ces combats partiels et successifs, il faut d'abord enlever le corps de la place elle-même, qui, comme une forteresse du moyen âge, est entourée d'un large fossé rempli d'eau, et protégée par des tours reliées entr'elles par des maisons et des murailles, formant une enceinte continue, et percées d'innombrables créneaux derrière lesquels les Arabes embusqués et à l'abri, chargent leurs armes, visent à loisir, choisissent l'ennemi qu'ils veulent atteindre, et, le plus souvent, le frappent, sans qu'il soit possible de répondre à leur coup.

Tels étaient en substance les moyens de défense de Zaatcha, trop ignorés, il faut le dire, lorsque, le 7 octobre 1849, la colonne expéditionnaire, forte de 4000 hommes de toutes armes, environ, arriva devant cette oasis […]

De nouvelles troupes et un supplément de matériel sont demandés à Constantine… les renforts arrivent (Note : M. le colonel de Barral rallia le camp avec 1500 hommes), la tranchée est ouverte, on arme les batteries, on comble les fossés […]

Ici commence une série de combats meurtriers qui causent dans nos rangs les pertes les plus cruelles… c'est ainsi que succombent le colonel Petit, commandant en chef du génie; M. Besse, capitaine d'artillerie et tant d'autres braves officiers […]

Un fils de Bou-Zian qui a longtemps habité Alger, et un Arabe qui a servi comme sergent aux zouaves, sont à la tête des tirailleurs les plus adroits…

Le drapeau de Bou-Zian flotte sur les murs de la place, et, de temps en temps, on le distingue lui-même à son burnous bleu ciel … tous les soirs, au coucher du soleil, le feu des Arabes est pendant quelques instants suspendu.

Bou-Zian monte à la mosquée, et, la face tournée vers l'orient, il fait publiquement la prière, puis il harangue les siens… Aussitôt après la prière, et comme s'ils venaient d'y puiser un surcroît de fanatique courage, les assiégés recommencent le combat avec une rage et une fureur nouvelle.

Une arme d'une main, une torche enflammée de l'autre, ils se précipitent sur nos ouvrages avancés, en poussant des cris sauvages auxquels se mêlent de loin les cris lamentables des enfants, les imprécations furieuses des femmes excitant les hommes au combat, le bêlement des troupeaux et les hurlements des chiens […]


 

Des piétons et des cavaliers arabes transmettent aux points les plus reculés du théâtre de la guerre des nouvelles favorables aux défenseurs de Zaatcha. Ces nouvelles sont cause que partout où nous avons laissé de faibles garnisons, elles sont menacées ou attaquées.

Des crimes isolés se commettent sur les routes les plus fréquentées et naguère encore les plus sûres… de nouveaux contingents envoyés par les tribus environnantes affluent dans Zaatcha, où ils se portent avec enthousiasme, jaloux de prendre part au triomphe promis.

La nécessité d'arrêter cet élan et de frapper un grand coup dont l'effet moral puisse étouffer dans leur germe les insurrections qui menacent d'éclater sur tous les points à la fois, devient chaque jour, à chaque instant, plus évidente.

Deux brèches sont ouvertes au corps de la place, elles sont jugées praticables, le général se décide à livrer l'assaut.

Le 20 octobre, dès le point du jour, deux colonnes d'attaque, l'une aux ordres du colonel Dumontet; l'autre commandée par le colonel Carbuccia sont lancées sur les deux brèches de la place […] officiers et soldats tombent sous les balles de l'ennemi… toutefois le brave bataillon se maintient pendant deux mortelles heures dans cette position désespérée, et n'obéissant qu'à grande peine au signal de retraite, après avoir vu tomber son commandant

(Note : M. le chef de bataillon Guyot, fils du brave général de l'empire. M. le commandant Guyot était le filleul de l'empereur Napoléon), quatre capitaines, deux autres officiers et un grand nombre de sous-officiers et de soldats tués ou blessés […]

Quoiqu'il en soit, l'insuccès de l'assaut du 20 augmenta la confiance et l'audace des assiégés. Les attaques de jour et de nuit devinrent plus fréquentes et plus furieuses que jamais; nos communications furent interceptées par les gens des oasis avoisinantes … nos patrouilles de cavalerie elles-mêmes et les escortes de nos convois, furent à chaque instant attaquées par des masses ennemies qui croyaient à notre défaite prochaine […]

 De nouveaux bataillons et un supplément de matériel d'artillerie étaient dirigés sur Zaatcha.

Le colonel Canrobert y arrive à la tête de mille de ses zouaves.

Il est bientôt suivi du 8e bataillon de chasseurs à pied, d'un bataillon de 8e de ligne, et d'un bataillon du 51e.

Ces renforts portent l'effectif des troupes devant Zaatcha à 7000 et quelques cents hommes de toutes armes.

Leur arrivée est le signal de l'invasion d'un fléau redoutable; ils ont amené avec eux le choléra qui, venant en aide aux balles de l'ennemi, se déclare dans tous les corps de l'armée et exerce dans nos rangs ses affreux ravages.

L'urgence d'en finir avec Zaatcha s'accroît encore de cette circonstance terrible.

On construit de nouvelles batteries, on les arme et leur feu dirigé avec une précision remarquable foudroie successivement les tours, les murs, les maisons crénelées, et en déloge les tirailleurs arabes qui nous ont fait tant de mal.

En voyant tomber sous nos boulets les murs et les créneaux derrière lesquels ils se croyaient invincibles, les Arabes électrisés par le double courage du fanatisme et du désespoir, attaquent nos retranchements avec une fureur qui ne connaît plus de bornes.

Au lieu d'attendre une mort qui désormais leur parait inévitable, ils courent au-devant d'elle, enflammés du désir de la donner en la recevant. Ils franchissent nos parapets, pénètrent jusqu'à nos batteries, et se font tuer sur nos pièces […]

 

Cependant, une nouvelle brèche est faite aux corps de la place; elle est large et béante et s'ajoute aux deux brèches par lesquelles on a tenté l'assaut du 20 octobre…

Le 26 novembre, à sept heures et demie du matin, trois colonnes d'attaque sont formées dans la tranchée.

Elles n'attendent qu'un signal pour s'élancer au combat…

L'artillerie ouvre un feu très vif sur les brèches… L'heure suprême est arrivée; le drame terrible de l'assaut va commencer.

Le signal est donné, les fanfares retentissent, le tambour bat, la charge sonne, et les trois colonnes, précédées de leurs chefs, s'élancent avec intrépidité.

Elles sont fusillées des terrasses, des jardins, des murs, des maisons, des ruines… des pertes cruelles déciment nos rangs; mais rien n'arrête l'impétuosité de nos soldats, et au bout de quelques instants le drapeau français flotte en signe de victoire sur le point le plus élevé de la ville arabe…

les rues, les places, les maisons, les terrasses sont partout envahies. Des feux de peloton couchent sur le sol tous les groupes d'Arabes que l'on rencontre.

Tout ce qui reste debout dans ces groupes, tombe immédiatement sous la baïonnette. Pas un seul des défenseurs de Zaatcha ne cherche son salut dans la fuite, pas un seul n'implore la pitié du vainqueur – tous succombent les armes à la main, en vendant chèrement leur vie

(Note 1 : la population de Zaatcha proprement dite avait disparu de la ville avant le jour de l'assaut, et les 800 cadavres qui le soir gisaient sur la terre – sans compter les cadavres ensevelis sous les ruines – étaient ceux des Arabes accourus dans Zaatcha pour le triomphe de la guerre sainteNote 2 : la mine, en faisant sauter une maison, lança dans les airs une petite fille de sept ans d'une beauté remarquable. Elle retomba évanouie sur le sol. On la croyait morte; mais un zouave s'apercevant qu'elle respirait encore, prit soin d'elle, la rappela à la vie, et l'enveloppa dans son capuchon – un commandant adopta cette petite infortunée qui n'avait plus ni parents ni asile).

Bientôt la maison de Bou-Zian devient le but vers lequel tendent tous les Arabes échappés à nos balles et à nos baïonnettes.

Trois à quatre cents guerriers s'y renferment, non pour échapper à la mort… mais pour trouver une dernière consolation à mourir auprès de leur chef et à lui faire un rempart de leurs corps.

Un bataillon de zouaves assiège cette maison – une grêle de balles met en quelques instants 50 hommes de ce bataillon hors de combat – mais les zouaves ne reculent pas…

on fait avancer une pièce d'artillerie; les canonniers tombent sous le feu des assiégés, et la pièce ne peut être mise en batterie.

On apporte des sacs à poudre, on y met le feu; la maison résiste; on recommence; elle s'écroule avec fracas et découvre Bou-Zian et ses défenseurs.

Nos soldats s'élancent, les Arabes font sur eux une décharge – la dernière – puis, abordés à la baïonnette, ils tombent les armes à la main.

On envoie demander au général si Bou-Zian doit être passé par les armes. L'ordre fatal arrive; Bou-Zian regarde la mort en face, et tombe en égrenant son chapelet. Son fils est reconnu et éprouve le même sort; on le fusille dans un jardin avec une cinquantaine d'autres Arabes

(Note : le fils de Bou-Zian était beau, jeune et brave. Il mourut avec le calme qui distingue le véritable courage. Un instant avant qu'on le fusillât, un soldat l'ayant poussé un peu rudement avec la crosse de son fusil, l'œil du jeune Arabe s'enflamma :

 "je suis le fils de Bou-Zian, dit-il, on tue le fils de Bou-Zian, on ne le frappe pas") […]

Le carnage avait duré deux heures. La moisson de la guerre était faite…

A neuf heures et demie du matin, la tête de Bou-Zian, celle de son fils et celle de Si-Moussa, marabout de l'Auress, placées au bout de trois piques portées par des chaous

(Note : bourreaux arabes), attestaient que notre victoire était complète, et que l'insurrection des Ziban n'avait plus de chefs.

Cependant, des Arabes embusqués dans des réduits obscurs et sous des ruines où il était impossible de les découvrir et de les atteindre, continuèrent à tirer sur nous jusqu'à trois heures de l'après-midi.

 

Après avoir employé la journée du 27 à enterrer les morts, à raser Zaatcha et à détruire les palmiers qui en faisaient la richesse, la colonne expéditionnaire prit le 28 la route de Biskara où elle arriva le 29 et séjourna le 30; puis les divers corps qui la composaient furent dirigés sur leurs garnisons ou camps respectifs.

Il était temps que cette leçon terrible fût donnée; car depuis notre conquête jamais insurrection n'avait montré plus d'enthousiasme fanatique dans le présent, plus de confiance absolue dans l'avenir… »

E. Ch. BOURSEUL

(ancien officier de l'Armée d'Afrique, 1851)

 

« Baudicour, historien pieux et probe, qui écrivait peu après les événements, a raconté des 'scènes déplorables' qui sont des scènes d'horreur :

"Les zouaves, dans l'enivrement de leur victoire, se précipitaient avec fureur sur les malheureuses créatures qui n'avaient pu fuir.

 

Ici un soldat amputait, en plaisantant, le sein d'une pauvre femme, qui demandait comme une grâce d'être achevée et expirait quelques instants après dans les souffrances; là, un autre soldat prenait par les jambes un petit enfant et lui brisait la cervelle contre la muraille; ailleurs, c'était d'autres scènes qu'un être dégradé peut seul comprendre et qu'une bouche honnête ne peut raconter." »

 

Ch. André JULIEN

Histoire de l'Algérie contemporaine (page 384)

 

 

 

COMME PAR HASARD

LES PERTES FRANCAISES

NE SONT PAS INDIQUEES

 

posté par notre ami Mohammed Merzougui que je remercie vivement

Publié dans HISTOIRE

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