Beau et triste souvenir d'enfant.
En recevant ce matin l’envoi de notre ami Hadj ali sur les jardins de Tadjemout et en lisant Lazhari Labter qui évoquait le jardin de son père, il m’est revenu à l’esprit un souvenir d’enfance de plus de cinquante ans.
Mon oncle Abdelhamid qui ne me dépasse que d’une seule année, était beaucoup plus l’ami, le confident, le copain. Nos plus belles années, nous les avions passées dans le jardin situé à Z’gag Ezbara et qui appartenait à mon grand-père Hadj Benaissa dit « Ben jawwa » (originaire de l’ile de Java, comme me le disait Hadj Mahmod Keciba, version assez plausible, je dirais).
Nous étions tellement attachés à ce jardin, modèle du genre et réputé dans le tout-Laghouat pour ses beaux fruits et l’ordre qui y régnait. Il faut avouer que grand-père était un expert en jardinage quoique cuisinier de métier. Tout dans le jardin de Hadj Benaissa respirait la paix, le bonheur et la joie de vivre. Rien n’échappait à sa vigilance et son œil scrutateur qui ne laissait rien passer, il abhorrait le désordre , les outils non remis à leur place, le spectacle de grappes de raisin auxquelles manquent des grains ( ce que nous nous amusions souvent à le faire malgré les réprimandes) ;
Je me souviens en particulier d’un fait qui a laissé dans l’âme de l’enfant que j’étais, une profonde amertume.
Nous nous amusions, mon oncle et moi à construire des petits châteaux en toub. Abdelhamid était un véritable artiste, c’était lui qui faisait tout, moi je me contentais de lui tendre les matériaux ou de faire de petits travaux pas trop difficiles (je ne suis pas doué, je ne l’ai jamais été d’ailleurs)
Nous avions choisi un endroit caché, loin des regards, pour construire notre château qui nous avait pris plusieurs jours. Dès que nous avions quelques instants de répit, nous courrions à l’endroit pour achever notre travail. C’était un travail d’artiste avec une multitude de chambres, de grandes salles pour les réceptions, des corridors, une merveille dans le genre. On se croirait dans la réalité, nous étions fiers de notre réalisation.
Nous avions des craintes d’être découverts et aucune précaution n’était épargnée de peur d’être pris en flagrant délit de « construction »
Mais toutes les précautions n’ont pas suffi et ce qui devait arriver arriva pour notre grand malheur.
Un jour que nous étions aux dernières retouches avant la fin de la construction de ce qui constituait pour nous une grande fierté , digne des plus grandes « prouesses », nous fumes surpris en « flagrant délit » par grand-père . D’habitude il était d’une grande gentillesse, affable, courtois et ayant pour moi, son petit-fils de sa fille chérie, beaucoup d’amour, mais cette fois-ci il en a été tout autrement. Il était furieux, jamais avant ni après je n’ai vu mon grand père dans une telle colère. Il nous ordonna de détruire nous-mêmes ce que nous avons mis des journées et des journées à construire avec assiduité et minutie.
C’était terrible de devoir détruire notre si belle réalisation de nos mains. Nous le fîmes, la mort dans l’âme et la rage au cœur mais il fallait que nous le fassions devant les yeux scrutateurs de grand-père qui n’arrêtait pas de vociférer.
Au bout de quelques minutes il ne restait de notre beau château qu’un amas de terre.
Ce triste souvenir m’est resté en mémoire en dépit de la distance qui nous en sépare .J’en ai voulu à mon grand-père après cet incident et je suis resté de longues semaines sans retourner au jardin pour exprimer mon désaveu de la décision de mon grand-père de nous avoir privé de l’objet de notre joie et notre fierté.
Plus de cinquante ans après, je dis à mon grand père que je lui pardonne et que ce que vous considériez à l’époque comme un « jeu d’enfant » constituait pour nous un « jeu très sérieux » , la preuve mon oncle Abdelhamid a construit lui-même, sans être maçon, et sans l’aide de personne sa propre demeure, comme quoi …