Le Muezzin
Le muezzin
Je me souviens du temps où mon père était muezzin. C’était au milieu des années cinquante. Je devais avoir quatre ou cinq ans. Nous habitions alors dans une vieille maison insalubre, sans électricité et sans eau courante, dans l’un des plus anciens quartiers de la ville, Zgag El Hadjadj, la rue des pèlerins. Juste en face de notre maison, il y avait la mosquée, aussi vieille que le quartier lui-même. Elle était composée d’une salle de prières tapissée de nattes et d’un hammam rustique. On y accédait par un couloir sombre dans un coin duquel était posé contre un mur un naach نعش, un corbillard. Des escaliers menaient à la terrasse. Mon père qui faisait office de muezzin de la mosquée s’occupait aussi du bain maure. Il se levait aux aurores pour allumer le feu qui permettait de chauffer l’eau pour les grandes et petites ablutions.
J’aimais l’accompagner les après-midi et le soir et par-dessus tout monter sur la terrasse au moment où il lançait l’appel à la prière. Jour après jour, cinq fois par jour, qu’il fasse chaud, qu’il vente ou qu’il pleuve, il ne dérogeait jamais à ce rituel sacré. Il se mettait dans un coin de la terrasse et, debout, les mains ouvertes autour de la bouche, la tête levée vers le ciel, de sa voix puissante et belle, il entonnait son » Allahou Akbar, Haya ala al- falah, Haya ala as-salat » qui se propageait aussi loin que sa voix portai, aux quatre coins de la ville. Debout, à coté de lui, je l’imitais à voix basse, imprégné par la force et la douceur de cet appel qui agissait comme un sortilège sur les croyants qui dès qu’ils l’entendaient, se mettaient sans attendre, en route vers la mosquée pour une prière collective, ou commençaient à prier en solitaires chez eux ou sur leurs lieux de travail.
J’étais fasciné par ce lieu empli de magie et de mystère tout en étant effrayé à cause de la mort symbolisée par le corbillard dressé dans le couloir comme un fantôme noir. Je ne me rendais à la mosquée qu’en compagnie de mon père. J’évitais, autant que possible, de m’y rendre seul, la peur l’emportant le plus souvent sur le désir.
Aujourd’hui encore, quand j’y pense, résonne à mes oreilles, comme surgie d’outre tombe, la musique de la voix de mon père lançant l’adhan, l’appel à la prière.
Lazhari Labter in « Retour à Laghouat mille ans après les Beni-Hilel »
Posté par M.Hadj-Aissa le 12 Novembre 2008