Part : 2 Mes premiers balbutiements dans l’Oasis de ma première responsabilité- par A.Benmessaoud-

Publié le par LAGHOUATI

Part : 2 Mes premiers balbutiements dans l’Oasis de ma première responsabilité

            J’avais 22 ans et trois mois, lorsque le 1er Septembre de l’an mil neuf soixante neuf,  je rejoignis mon premier poste, une périphérie loin de la régionale. Tout est nouveau pour moi : le va-t-on en guerre sans munitions hormis ma volonté de bien faire, célibataire, j’étais livré tout seul dans un lieu dont j’ignore les us et les coutumes, confronté soudain à la prise de décision sans outils de gestion, une solitude dans un environnement qui favorise l’isolement face à deux frontières passoires de fraudes. Oued Souf est devenu pour trois pleines années mon adresse, ainsi en a décidé le « Mektoub »,   "و المانو جرني هناك "  .

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         D’une oasis à une autre. D’une Oasis où les palmiers commençaient à disparaître à une Oasis où tout est palmiers, des arbres bénis, incrustés dans de véritables cratères entourés et menacés de sables. La région des « ghotts » s’ouvrait donc à moi sans pont sur l’oued M’zi et sans « sefridj » pour moi où se baigner, sauf un océan de sables jaunes, dorés, fins s’étalant partout, couvrant la nature d’où émergeaient, comme des constellations de l’espace, des touffes vertes, sommet de l’arbre sacré. Là où la vie semble s’estomper, tout est vie. Deux Oasis, toutes deux réputées par leur Oued, l’oued M’zi dont je viens quitter les rives et l’oued que j’aborde, souterrain, enseveli sous l’erg oriental, irrigant en secret d’innombrables palmiers vivaces, entretenus inlassablement par la main laborieuse en lutte perpétuelle contre l’ensablement.

Le Souffi, est tantôt Soufi mystique au verbe stylé d’un parfait arabe, tantôt il est ingénieux, malin et plein de ressources : Il peut faire boire une bouteille d’eau minérale à une dizaine d’invités, tout simplement en la diluant avec de l’eau ordinaire. Sa richesse et sa pauvreté se mêlent dans une apparence inexpressive, tant le riche et le pauvre s’égalisent dans leurs tenues avec la plupart du temps une  ample gandoura qui sied au climat chaud, couleur généralement de sable, leur mode de vie austère où l’autosuffisance, excluant tout superflu,  الاكتفاء بالقليل prend une dimension de tous les jours. L’hostilité du sable fin formant de millions de monticules qui se suivent et se ressemblent, des étendues plates, uniformes, érodées par le temps et les éléments, tout le temps étanchées par les rafales de vents de sables imperturbables, n’empêchent le natif de connaitre sa voie, né observateur et guide inné, secondé par l’ami fidèle, le chameau qui n’a de cesse à parcourir le désert pour lequel il est né et fait, portant en son ventre sa provision d’eau et sur sa bosse tantôt un bien précieux de l’homme, tantôt une marchandise, une denrée rare, un produit exotique, un article électronique de valeur, que cherche à dépister le douanier embusqué ou fouineur. A chacun ses moyens, le soufi, sa caravane et le douanier, sa Land Rover, dans une lutte interminable de tous les instants, de jour comme la nuit. En trois années d’affectation dans la ville, point de chute et carrefour, je n’ai pu comprendre à fond les rouages de la contrebande, les moyens multiples usés, les voies et les pistes empruntées, les réseaux constitués, les ruses usitées.

Bien que sédentaire, je m’intéressais à décortiquer le phénomène propre à toute contrée frontalière, qui, dans le cas du Soufi, s’amplifie par l’environnement hostile, l’absence d’indicateurs et l’immensité d’un erg inaccessible, sauf par des moyens extraordinaires et sophistiqués indisponibles à l’époque. L’une des ruses à déjouer pour contrer le phénomène est d’interpréter les avis de fraude qui parfois ne sont que des moyens pour détourner la vigilance du service et le détourner du chemin que doit emprunter la contrebande. Je me rappelle d’un succès éclatant : Un jour une source anonyme a fait état d’une incursion par un chemin donné. Ce jour là, le service avait à sa disposition deux Land-rover. Deux missions simultanées et concomitantes furent lancées dans des directions opposées. Le lendemain la place se réveillait sur une voix arabe véridique avec une grande saisie de marchandises et de moyens de locomotions considérables. Si je parle de fraude, le transit illégal ou le point de chute est favorisé par cette position de proximité de deux frontières situées dans une zone sablonneuse et désertique. Et toute la frontière est en quelque sorte un no man’s land très perméable. La propension est amplifiée par le fait que la bête de charge la plus adaptée est le chameau qui, peut tout en déplaçant une cargaison conséquente peut voyager tout seul d’un point de départ et d’un point d’arrivée donné avec le seul instinct comme pilote, avant d’être supplanté par les « stations-wagons ». Ce dernier mode de transport a vu son essor avec le trafic de cigarettes et stupéfiants, aidé aussi par la sophistication des communications via le téléphone cellulaire « Thoraya ». Ces bolides étaient conduits par des gens qui n’avaient ni foi ni loi sauf de foncer vers leur destination, connaissant les pistes inconnues et circulant surtout de nuit à des vitesses considérables. Il y a aussi des caravanes équipées et encadrées par des hommes armés, souvent précédés par des guides. Un jour, un élément du service national en patrouille avec sa brigade faisant halte pour la nuit en extrême-sud fut, contre toute atteinte, accosté par un homme emmitouflé « Le passage ou la mort ! » qui voulait tout dire.

  Un collègue du nord, une fois, qui voulait plaisanter avec moi à propos de l’usage d’hélicoptères de surveillance me lança « Toi, Ben, il te faut conduire un chameau ». Ma répartie naturelle « Et tu seras mon copilote » le laissa muet et en colère.  La lutte contre la fraude n’est pas une mince affaire et pose beaucoup de problèmes à tous les pays, mêmes les plus développés. Aux Etats-Unis, les narcotiques utilisent de petits jets très rapides et même des sous-marins et n’arrivent pas à juguler le problème. 

La recette dont j’ai pris les clés est composée d’un minuscule bureau et un hall, et derrière, après la traversée d’un couloir où se trouve le magasin de dépôts, le logement doté d’une cave désaffectée et non utilisée et d’une grande terrasse, l’arrière base de vie appelée à me servir de logis, trop grand pour moi, le célibataire désormais loin des soins de sa chère mère, attenant à un « ghott » qui reflétait les senteurs et la fraicheur de la palmeraie à proximité. Le local, loué par l’administration, dont le design conçu pour une pharmacie, était vétuste et non fonctionnel. Mais son emplacement judicieux le mettait sur la route en direction de Tozeur la première ville Tunisienne par le poste frontalier Bouaroua, le passage officiel au  niveau de la zone d’El Oued. Tout seul désormais pour une gestion virtuellement autonome avec le seul lien, le téléphone manuel sujet à coupures dont l’utilisation était facteur du réseau souvent en panne, la télégraphie via les transmissions nationales et les correspondances. L’assistant direct, je me rappelle de feu BAZINI, constituait tout le staff et l’équipe outre un agent de service. La comptabilité était simple (recettes et dépenses) et rattachée à la recette principale de Laghouat. Un appareil téléphonique et une vieille machine à écrire  et deux bureaux métalliques formaient le matériel  de travail. Mon adjoint avait pour moyen de locomotion une bicyclette, tandis que moi, hormis des missions en dehors de la ville, je vaquais à pied. Point de véhicule de fonction ni de véhicule personnel conventionné.

Je gérais aussi les stocks de marchandises et valeurs en dépôts et également les objets saisis dont j’étais le dépositaire légal jusqu’à la décision définitive qui clôt les dossiers en vue d’un vente aux enchères publiques éventuellement. Pour l’encouragement du tourisme, j’effectuais, généralement en dehors des heures d’ouverture des banques le change officiel. Un jour, je reçu un couple de français, accompagné d’un adolescent pour le change. Le Monsieur pris à mon égard un air hautain et hostile, ce que je n’ai pas hésité à lui en faire l’observation et à l’inviter à revenir à de meilleurs sentiments. Le Monsieur au lieu de se calmer s’emportât encore plus et me fit valoir sa fonction de Consul. Cela ne m’a pas  empêché de lui dire que sa fonction, qui n’est pas inscrite sur son front, ne doit pas l’empêcher la correction d’usage à adopter envers ses vis à vis. Il quitta avec fracas le bureau. Quelques instants plus tard, il revint suivi de sa femme et son fils, en me demandant doucement cette fois, si son fils n’avait pas oublié une paire de lunettes. Je lui montrais l’objet laissé exactement à l’endroit de l’oubli ; Il sortit, tête baissée, muet et blême, sans doute de s’être mal comporté tout en constatant l’exemplarité du lieu et l’énormité de sa turpitude loin d’être diplomatique. Sa femme prit la peine de présenter des excuses et des remerciements, tout en lançant un œil sévère à son mari.

Je commençais à m’organiser et à me familiariser avec ma nouvelle fonction. Principalement je percevais les droits et taxes sur l’importation de marchandises, généralement en petite quantité et déclarée verbalement. Le suivi contentieux était plus important et cela en relation avec la brigade de recherche et de  constatation. Le contentieux englobait les affaires réglées à l’amiable et les affaires déférées en justice. J’étais le mandataire pour ce dernier volet au niveau du tribunal. Le président du tribunal de l’époque, Maitre YOUSFI Mohamed, était lui aussi un Oasien de Laghouat qui était très estimé par la population pour sa compétence, son intégrité et son impartialité. Au besoin, je me référais à ses avis et conseils éclairés. Il me confortait souvent pour me tirer de ma solitude aux moments libres et me ressourçait le plus souvent avec un de ses couscous de chez-nous. En termes culinaires, c ‘est l’une des tracasseries que j’ai rencontrée dans ma nouvelle condition de célibataire, statut inattendu pour lequel je n’ai pas été préparé par ma mère en me gâtant des meilleures galettes au monde. Après avoir testé la cuisine collective de la brigade qui s’est désintégrée faute de volontaires, je me suis dis qu’il fallait que je prépare à l’avenir mes propres mets. J’achetai  l’essentiel, une marmite, quelques ustensiles et un petit réchaud de gaz en bouteille. Les premières tentatives furent un fiasco. Je commençai par le menu le plus élémentaire : la bouillie de pomme de terre  et d’œufs durs. Comme pour me décourager une quantité de pommes de terre a été bouillie, la même  plusieurs fois sans succès. Elles restaient non cuites et dures. Devant ce manque de doigté à réussir à cuire un légume populaire, j’ai essayé des lentilles. Oh ! Des lentilles qui contiennent du fer qui vont contribuer à enrichir de sels minéraux mon corps qui criait déjà à la famine. Je mis dans la marmite une grande quantité de lentilles sans les faire tremper au préalable que je me suis demandé pourquoi elles ne s’arrêtaient pas de sécher bien que je leur rajoutais  quantité d’eau. Au lieu de prendre le chemin de mon estomac vide le légume sec prit l’itinéraire des oubliettes.

Devant mes résultats lamentables en matière de self cuisine, je pris le chemin du restaurateur. J’ai essayé deux locaux : Le premier,  juste en face de l’hôtel transat était fréquenté par les fonctionnaires et beaucoup de touristes. Le menu était apparemment riche avec du steak, du riz et quelques légumes. Des tranches de veau c’était une aubaine au prix pratiqué jusqu’au jour de l’arrivée d’un grand groupe de touristes étrangers. Tous commandèrent du steak. Le garçon de salle commençait à aligner les grosses tranches devant les clients éreintés par un long voyage et excités par la découverte du grand Soufi à la vision incroyable de ses dunes féériques. L’un d’eux questionna candidement : »C’est du bœuf ? ». En digne serveur, discipliné au règlement intérieur de l’établissement, il répondit le plus sérieusement du monde à la question et triomphalement « OUI ! Oui, c’est du bœuf ! ». Le représentant du groupe s’offusqua et invita le digne serveur de reprendre ses plats : « Nous voulons de la viande de chameau ! », demande reprise en chœur par l’ensemble de ses compagnons. Sorti en vitesse de l’arrière de la salle formant cuisine, le patron, criait « C’est du chameau, c’est du chameau ! ». Nous autres, qui n’ayant pas le choix que de fréquenter ce restaurant ou mourir de faim, nous nous regardâmes, en pensant que nous avons consommé depuis une assez longue période du pseudo viande bovine. Je promis à l’assistance de faire payer cher au patron véreux sa fraude. L’occasion vint en la saisie du chameau le plus vieux de la flotte des contrebandiers. Arborant ses os à tel point que ses cotes pouvaient être comptées, le squelette tenait à peine debout, ayant charrié sans aucun doute à travers le désert et les frontières d’innombrables quantités de richesses. Discrètement, je soufflais au malin patron l’existence d’une affaire exclusive, un lot de viande de chameau, qui contenterait des centaines de touriste avides de gouter à l’espèce, et au prix imbattable de  1000 anciens francs à payer discrètement  en cash.  L’affaire conclue, le restaurateur, content d’avoir réalisé l’affaire de sa carrière, courut vers le lieu de package du trésor dépourvu de chair et tout plein d’os. Le lendemain, à l’heure du déjeuner, le malin qui croyait prendre  et qui a été pris, s’approcha de moi, tout pâle, me dit à l’oreille : « Vous m’avez eu ! ». Après cette plaisanterie qui plut à tous ceux qui ont subi pendant de longues périodes la viande de chameau au lieu de celle du bœuf, il fallait changer de lieu.

 

 

 

Publié dans Ahmed Benmessaoud

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M
<br /> Votre récit est captivant.Merci de partager avec nous vos pérégrinations.<br />
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