"Le Douro" par Lazhari Labter

Publié le par Laghouati

Le douro

 

Mon père raconte que mon oncle, l’unique frère qu’il eut, plus âgé que lui, parti très jeune à Alger où il s’établit. Il habita d’abord la cité Mahiedinne avant de dénicher et de louer un appartement au troisième étage d’un immeuble situé à quelques centaines de mètres du champ de manœuvre que les gens appellent aujourd’hui « chamaneuf », actuellement « place du 1er Mai ». Taleb de son état, il gagnait bien sa vie en soignant les gens grâce à la confection de ktob ou hrouz, sortes d’amulettes.

 

Mon père disait qu’il s’adonnait à la sorcellerie et détestait cette pratique par-dessus tout. Quoique analphabète, mon père qui subit la forte influence des dourous, cours des oulémas badissiens, notamment cheik Chatta et cheik El okbi, était l’anti-charlatan par excellence. Alors que la visite des marabouts était une pratique courante, il interdit formellement à ma mère qui ne mit jamais les pieds dans les sanctuaires des marabouts de la ville, y compris ceux très vénérés de Sidi Abdelkader et de sidi el hadj Aissa , les deux saints tutélaires de la ville.

 

Mon père en a voulu toute sa vie à cet oncle si proche pour nous et si lointain car, disait-il, il avait vendu tous les biens légués en héritage par mon grand-père et dilapidé l’argent ainsi obtenu

, laissant son frère dans le dénuement le plus total. Mon père ne survécut qu’en proposant sa force de travail aux riches propriétaires de la ville dont il s’occupait des jardins et qui lui donnait en contre partie le cinquième de la récolte.

 

Pendant de très longues années, ils ne se virent pas. Mon oncle se rendait bien tous les printemps à Djelfa d’où était originaire sa femme mais il ne poussait jamais  jusqu’à Laghouat, pourtant distante de seulement cent kilomètres de la capitale des Ouled Nail. Ses « vacances », il les passait à Messaad ou à Charef où il possédait quelques moutons dont un berger s’occupait.

 

Je me souviens qu’un beau jour de printemps, mon père nous annonça sa venue. L’excitation qui s’empara de nous était à la mesure de l’évènement. Enfin, nous allions faire la connaissance de cet unique et fameux oncle qui habitait Alger, le bout du monde pour nous.

 

Quand enfin il fut là, en chair et en os, devant nos yeux éberlués, nous restâmes, mes frères et moi en demi-cercle autour e lui, de longs moments à le regarder comme s’il était El Mahdi  Al Mounthadar qui venait de débarquer, le Messie de retour.

Après avoir pris le café et échangé avec mon père quelques propos dont le sens nous échappait

 

Il glissa la main dans la poche de sa veste, sous sa gandourah et en sortit quelques pièces de monnaie. A chacun il donna un douro. C’était une grosse pièce de cinq centimes. Elle ressemblait à la pleine lune. Pour nous c’était une fortune. Mon père disait douro mchaquaf. Tous les deux ans, on attendait l’arrivée de mon oncle, avec impatience.

 

Depuis ce jour dans mon esprit, l’image de mon oncle est indissolublement liée au douro mchaquaf. La pleine lune aussi.

 

Lazhari Labter in « Retour à Laghouat mille ans après les Beni-Hilel »

 

Posté par M.Hadj-Aissa le 17 Novembre 2008

 

Commentaire ;

 Le douro était la seule  monnaie courante que nous arrivions à comprendre, nous autres enfants des années cinquante  et également les vieilles personnes comptions  en douros. Les adultes comptaient en  anciens francs.  

Je me souviens très bien du  regretté père de l’auteur Si el hadj Tayeb. C’était un homme de corpulence moyenne, maigre mais actif et plein d’ardeur. On le voyait arpenter les ruelles menant aux jardins de la ville, surveillant l’eau de la seguia parce qu’il était waqaf c'est-à-dire préposé à la distribution de l’eau d’irrigation  des vergers. Il était inflexible et sévère et rien ne lui échappait des ruses employées par certains pour bénéficier de certains privilèges et avantages qu’il ne permettait pas. Il y avait dans la ville deux waqafs : un pour l’oasis nord et un autre pour  celle du sud. L’eau était distribuée équitablement et les minutes consacrées à chaque jardin étaient minutieusement comptées.

Le système d’irrigation fort ingénieux, était appliqué jusque vers les années 70 et la ville vivait de ses jardins et vergers et se suffisait à elle-même pour beaucoup de produits agricoles. Mais l’eau parvint à manquer et la source dite »Rass el Ouyoun » commençait à tarir et ce fut la catastrophe pour beaucoup de  petits fellahs qui, ne pouvant forer de puits, durent vendre leurs jardins aux riches propriétaires de cheptel. Ces derniers abattirent les arbres et palmiers encore vivants et construisirent des habitations sur les terres agricoles.

Laghouat continue de payer à ce jour  la folie et la bêtise des hommes qui ont détruit en quelques années la riche végétation que nos ancêtres ont mis des dizaines d’années à planter

M.Hadj-Aissa

Publié dans LAZHARI LABTER

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D
Bonjour et Bienvenue dans ma communauté"Le champ du monde". Je voudrais profiter de ce contact pour rappeler que les sujets"politique" et "adulte" seront exclus. Cette parenthèse faite je vous présente à nouveau  mes vœux de bienvenue et vous accepte avec un très grand plaisir. A + tard .Dracip
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L
<br /> MERCI Dracp pour votre accueil et vos souhaits de bienvenue.Je m'engage à respecter votre charte qui ecxlut les sujets "politiques" et "Adultes". J'espère une bonne ère de franche coopération.<br /> <br /> <br />